Un verre plein pour un homme seul
Des yeux tristes d'épagneul
Un samedi soir qui s'ennuie
Devant la gare du Midi

Qu'a-t-il donc mis dans ce verre
Qu'il regarde fixement ?
Un vieux souvenir de guerre
Ou peut-être simplement
Un peu de tristesse à boire
De solitude à combler
Un grand projet de départ
Qui n'est jamais arrivé
Une maison de province
Le rire d'un petit garçon
La voix d'un vieux phono qui grince
Sur l'air qui faisait la chanson

Deux verres vides pour un homme seul
Plus triste qu'un épagneul
Dans un bistrot gris d'ennui
Devant la gare du Midi

Qu'a-t-il puisé dans ces verres
Qu'il regarde avidement ?
Un sourire de naguère
Ou bien n'est-ce simplement
Qu'un peu de tristesse bue
De solitude comblée
Une voix qui s'était tue
Qui soudain s'est réveillée
Une vieille île au trésor
Jaillie du fond d'une mémoire
Ne faut-il pas croire aux histoires
Pour s'aider à vivre sa mort ?

Cinq verres vides pour un homme seul
Aux yeux tristes d'épagneul
Quand dehors tombe la pluie
Devant la gare du Midi

Qu'a-t-il trouvé dans ces verres
Qu'il regarde vaguement ?
La première primevère
Ou n'est-ce qu'un faux printemps ?
Une tristesse bien bue
Une solitude oubliée
Un chien qu'il avait perdu
Et qu'il a cru voir passer
Une lointaine Amérique
Dont il va devenir le roi
Car dans sa noble Belgique
Un trône pour deux, ben, ça va pas

Dix verres vides pour un homme seul
Plus triste qu'un épagneul
Quand le dernier tram a fui
Devant la gare du Midi

Qu'a-t-il perdu dans ces verres
Qu'il ne compte même plus ?
Un miteux cache-misère
Qui ne cachait rien de plus
Qu'une tristesse trop bue
Une solitude noyée
Qui titube dans la rue
Et s'oublie sur un pavé
C'est pourquoi devant les gares
On voit toujours des épagneuls
Qui réclament sur un trottoir
Dix verres pleins pour un homme seul
Dix verres vides pour un homme plein